Protéger nos amis les animaux à plume et leurs habitats naturels demeure une priorité politique essentielle.
Le quartier de Guantian de la ville Tainan, dans le sud de Taiwan, est la première région cultivatrice de châtaignes d’eau du pays, totalisant pas moins de 70 % de la production nationale de ce fruit à la coque dure et noire. Ce n’est pas un hasard si Guantian est également le milieu de prédilection des jacanas à longue queue.
Surnommés les « oiseaux des châtaignes à eau », ces échassiers sont souvent vus marchant sur de la végétation flottante grâce à leurs longues pattes. En 1990, l’inquiétude des habitants vis-à-vis du projet de train à grande vitesse qui devait traverser Guantian a amené la municipalité de Tainan à créer une réserve naturelle de 15 hectares, plus tard appelée Parc éducatif et écologique des jacanas.
La pirolle de Taiwan est l’une des espèces endémiques de l’île. (Aimable crédit de Liu Ding-ying)
La Société pour les oiseaux sauvages de Tainan et l’office des Forêts du ministère de l’Agriculture se sont rapidement associés à ces efforts de préservation. En septembre 2019, ils ont conjointement présenté un documentaire revenant sur le travail fructueux de ces dernières décennies dans le Parc éducatif et écologique des jacanas en matière de gestion de l’habitat et de coordination avec les communautés locales d’agriculteurs.
Alors qu’il faisait partie des espèces menacées dans les années 1990, le jacana à longue queue de Taiwan a vu sa population passer de quelques dizaines à plus de 1 000 individus, comme cela a été confirmé par les derniers recensements de l’office des Forêts. D’après Adam Lee [李益鑫], secrétaire général de la Fédération chinoise pour les oiseaux sauvages, basée à Taipei, le jacana tout comme la petite spatule, une autre oiseau protégé vivant à Tainan et dont les aires d’hivernage se trouvent dans les zones humides du quartier côtier de Qidu, ont fait l’objet de projets de conservation parmi les plus réussis à l’échelle nationale.
Une large couverture
Etablie en 1988, la Fédération chinoise pour les oiseaux sauvages est une organisation non gouvernementale rassemblant la société pour les oiseaux sauvages de Tainan et 18 autres sociétés ornithologiques municipales ou régionales ainsi que deux autres groupes de protection de l’environnement à Taiwan. La fédération est une autorité centrale pour la conservation de la faune et de la flore, elle bénéficie d’un partenariat privilégié avec l’office des Forêts et est membre de Birdlife International depuis 1994. Ses principales missions consistent à protéger les oiseaux sauvages et leurs habitats naturels à travers la recherche et les études de terrain, mais aussi à favoriser le développement de connaissances pertinentes et les activités de sensibilisation auprès du public.
Le Yuhina de Taiwan, une espèce indigène d’oiseaux. (Aimable crédit de Liu Ding-ying)
Taiwan possède l’une des plus fortes densités d’espèces d’oiseaux au monde. Selon le dernier rapport du comité d’enregistrement des oiseaux de la Fédération chinoise pour les oiseaux sauvages qui établit la liste officielle des Oiseaux de Taiwan, sur les quelques 10 000 espèces présentes dans le monde, Taiwan et ses îles périphériques en accueille 663, que celles-ci soient de passage ou aient fait du pays leur résidence principale.
Cette liste est mise à jour tous les trois ans, avec un renouvellement prévu pour 2020. La même année devrait être publié L’Etat des oiseaux à Taiwan, le premier rapport à l’échelle nationale. Il est conduit par la Fédération chinoise pour les oiseaux sauvages accompagnée d’autres ONG, ainsi que de chercheurs et d’organismes gouvernementaux tels que l’Institut de recherche sur les espèces endémiques du ministère de l’Agriculture, basé dans le district de Nantou, au centre de Taiwan.
Les travaux préparatoires au rapport ont été lancés fin 2013 à travers le projet annuel de Comptage des oiseaux pour la nouvelle année. La dernière édition a pris place du 16 décembre 2018 au 6 janvier 2019 dans 179 zones d’échantillonnage d’un rayon de 3 kilomètres. 1 365 participants avaient été mobilisés et ils ont pu comptabiliser 325 espèces pour un total de 312 948 individus.
Un fou brun vole au-dessus de l’îlot de Keelung, au large des côtes de la ville éponyme, au nord de Taiwan. (Aimable crédit de la Société des oiseaux sauvages de Keelung)
Un sanctuaire ornithologique
« Les espèces migratrices intéressent grandement les ornithologues amateurs et les chercheurs locaux car Taiwan est un point de passage majeur sur l’itinéraire aérien Asie de l’Est-Australie, qui s’étend de l’est de la Russie et de l’Alaska jusqu’à l’Australie et la Nouvelle-Zélande, explique Adam Lee.
D’après l’édition 2015 des « Zones importantes pour la conservation des oiseaux [ZICO] à Taiwan », publiée conjointement par la Fédération chinoise pour les oiseaux sauvages et l’office des Forêts, il existe selon les standards de Birdlife International 54 ZICO à travers le pays. La liste inclut des sites tels que la région montagneuse de Yaoshan, dans le district de Taitung, dans le sud-est de Taiwan, ou encore les zones humides de Fangyuan, dans le district de Changhua, au centre-ouest du pays. Environ 77 % des ZICO sont officiellement désignées comme réserves naturelles et zones protégées, y compris celles qui relèvent de la Loi sur la conservation des zones humides entrée en application en 2015. Deux zones humides du Parc national de Taijiang peuvent bénéficier d’une labellisation internationale, 40 d’un statut national, 12 d’une reconnaissance régionale et 14 d’une classification régionale temporaire. « Ces chiffres solides représentent la volonté des pouvoirs publics de ne plus mettre l’accent sur les seules problématiques de conservation des forêts mais également d’autres types d’occupation des sols », assure Adam Lee.
La sterne d’Orient constitue une espèce protégée à Taiwan. (Aimable crédit de la Fédération chinoise pour les oiseaux sauvages)
L’identification et la protection des sanctuaires du pays illustrent la profondeur de l’engagement collectif afin de préserver les oiseaux et les autres espèces. Malgré ces efforts, plusieurs espèces telles que la sarcelle d’hiver, le bécasseau variable, le tournepierre à collier et le bécasseau sanderling ont enregistré des baisses de population ces dernières années.
Différentes perspectives
La présence humaine et la perte d’habitat sont les principales causes de déclin des espèces ornithologiques, mais l’emplacement d’installations d’énergie renouvelable sur des terres inoccupées a aussi son importance. « Ces terres sont inoccupées du seul point de vue humain », rappelle Adam Lee en ajoutant que ces zones sont des lieux majeurs pour l’activité des oiseaux et la biodiversité.
Par conséquent, la Fédération chinoise pour les oiseaux sauvages travaille auprès des secteurs public et privé afin de s’assurer que des mesures de protection de la faune adaptées sont mises en place alors que les politiques gouvernementales en faveur des énergies vertes commencent à porter leurs fruits. Selon Adam Lee, le projet solaire en cours sur la zone côtière de la commune de Budai, dans le district de Chiayi au sud de Taiwan, en est un parfait exemple.
Après de longues négociations entre les représentants du bureau de l’Energie du ministère de l’Economie, les promoteurs privés, la Fédération chinoise pour les oiseaux sauvages et d’autres organisations locales, environ 30 % du site a été réservé à la conservation écologique. Adam Lee est convaincu que pour éviter d’en arriver là, il faut que le gouvernement soutienne en priorité les projets d’installation de panneaux solaires sur les toits plutôt que les centrales solaires au sol et flottantes. « Ces questionnements devraient être présents aussi tôt que possible dans le processus de planification afin d’aboutir à des résultats optimaux pour toutes les parties concernées », indique-t-il.
Des représentants de la Fédération chinoise pour les oiseaux sauvages participent à une manifestation relative à l’éducation environnementale en Malaisie. (Aimable crédit de la Fédération chinoise pour les oiseaux sauvages)
Alors que les missions de la Fédération chinoise pour les oiseaux sauvages se concentrent tout particulièrement sur le soutien à mise en place de politiques de protection de la faune et sur la promotion d’initiatives nationales, les groupes qui la composent se chargent eux de projets et conservation et de sensibilisation à l’échelle locale. Parmi ceux-ci, la Société des oiseaux sauvages de Keelung établit des comptages réguliers des oiseaux présents dans cette ville portuaire du nord de Taiwan et dans ses environs situés sur le territoire de New Taipei, sans oublier ses îles périphériques.
Le grand retour
Shen Chin-feng [沈錦豐], qui est en charge de l’équipe d’études de terrain, explique que le nombre de milans noirs, de faucons pèlerins et de puffins leucomèles est un indicateur très fiable de l’état de l’environnement. « Les oiseaux marins, par exemple, sont étroitement liés à l’écosystème marin et la présence d’oiseaux de proie en dit beaucoup sur l’état de la biodiversité d’une zone déterminée. »
Pour Cheng Wei [鄭暐], président de la Société des oiseaux sauvages de Keelung, dans les espaces où les oiseaux se retrouvent plus fréquemment en contact avec les humains, comme le bord de la rivière Keelung avec ses digues et ses systèmes de lutte contre les inondations, les nombres d’individus et d’espèces sont en baisse.
(Aimable crédit de la Fédération chinoise pour les oiseaux sauvages)
Cet ancien assistant de recherche à l’office des Forêts et à l’Institut de conservation de la faune de l’Université nationale des sciences et des technologies de Pingtung, dans le sud de Taiwan, indique que trois nids de milans noirs supplémentaires ont été repérés cette année. « Cela fait un total de 10, ce qui devrait amener à plus de 14 le nombre de jeunes quittant les nids avec succès. »
La population de milans noirs bénéficie également des progrès réalisés dans le secteur agricole. Dans le passé, il était courant de trouver des niveaux de pesticides élevés dans les montagnes et les plaines de Taiwan. Les oiseaux en étaient les victimes indirectes après avoir ingéré des animaux empoisonnés. Alors que les communautés rurales n’utilisent plus de pesticides gratuits et qu’une partie des agriculteurs se convertissent à l’exploitation biologique, les milans noirs font leur grand retour.
Ces progrès sont à mettre entièrement au crédit de la Société des oiseaux sauvages de Keelung et des autres groupes de préservation de l’environnement. Les projets les plus récents consistent à collaborer avec les communautés locales et les écoles afin de promouvoir la sensibilisation aux questions d’environnement. Il s’agit de travailler par exemple sur la zone humide de Neiliao, au centre de Keelung, ou encore sur la présence des faucons pèlerins dans la zone côtière de Shen’ao, à New Taipei.
Le projet de Neiliao est financé par l’initiative de protection des zones humides du ministère de l’Intérieur et celui de Shen’ao soutenu à travers le prix Eco Echo. Lancé en 2016, ce prix annuel bénéficie de l’appui de United Microelectronics Corp., une entreprise originaire de Hsinchu, dans le nord de Taiwan. Il offre un parrainage allant de 300 000 à 1 million de dollars taiwanais (9 700 à 32 300 dollars américains) à cinq projets sélectionnés parmi ceux présentés par des organisations environnementales ou des groupes de développement communautaire.
Le milan noir a été désigné officiellement comme emblème de la ville. (Aimable crédit de la Société des oiseaux sauvages de Keelung)
En 2019, la Société des oiseaux sauvages de Keelung a proposé au comité de sélection un projet similaire sur l’îlot de Keelung. Celui-ci a été retenu sur la liste des nominés aux côtés des projets de huit autres groupes, parmi lesquels celui de la Société des oiseaux sauvages de Taipei (un autre membre de la fédération nationale), qui concernait les jacanas à longue queue du parc naturel de Guandu, ou encore celui du Groupe de recherche sur les reptiles, qui posait la question des risques que représentent les parois de verre pour les oiseaux en vol.
« Nous devons essayer de vivre en harmonie avec la nature et nous efforcer de la protéger, affirme Shen Chin-feng. Car la façon dont nous traitons les oiseaux aujourd’hui est peut-être un avant-goût de la façon dont mère Nature traitera les humains dans le futur. »
La Société des oiseaux sauvages de Keelung travaille en collaboration avec les écoles primaires locales pour promouvoir la sensibilisation aux questions d’environnement. (Aimable crédit de la Société des oiseaux sauvages de Keelung)